"Je suis la mémoire des chants de Bretagne"

France Dimanche
"Je suis la mémoire des chants de Bretagne"

Il aime à se définir comme un cueilleur de chansons. Depuis 50 ans, il parcourt sa région à la recherche des pièces musicales oubliées pour les faire revivre.

« À Paris, j'entendais toujours qu'on se fichait des Bretons, on nous traitait de ploucs. Quand je suis revenu à Pipriac en 1959, j'ai voulu voir si nous étions aussi incultes. Je me suis aperçu qu'on chantait dans tous les villages. C'est alors que j'ai décidé de recueillir le patrimoine oral de ma région. La première fois que j'ai emporté mon magnétophone, je suis allé dans une ferme où l'on saignait le cochon. En 51 ans, j'ai récolté plus de 6 500 chansons, et j'en ai enregistré 4 500, en direct. Une dame m'a sorti sans se tromper 40 couplets d'affilée qu'elle n'avait plus chantés depuis 50 ans ! Le chant le plus ancien que j'ai trouvé, “La Sorcière“ remonte à 1290, il a été déposé à la Bibliothèque Nationale par la corporation de Saint-Nicolas. Et je viens de publier 295 textes de chanson dans mon dernier livre : “Carnets de route“, des chansons traditionnelles de Haute-Bretagne. Chez nous, plus la Bretagne est près de Paris, plus on dit qu'elle est haute.

Albert Poulain en 2009. Photo : DR

J'ai pris tout ce que j'entendais : les chants de marins, de travail, de danse, de marche, de table, les chansons à boire. Et aussi ceux de “mitraillette“, courants au Québec, où l'on chante à toute vitesse pour se réchauffer, de groupe, où l'on se répond sur des octaves différents, de moqueries, qui s'attaquent aux puissants (curés, sorcières, seigneurs), de menteries où on délire en inventant les détails les plus absurdes, ainsi que les nombreuses chansons lamentables, racontant les histoires de tous ceux qui ont eu le cœur brisé. Tous ces textes ne font qu'évoquer la stupidité des hommes, autour des mêmes thèmes éternels : l'amour, la guerre, la mort, le travail, la faim, la fête. Ils sont en français, en breton et, pour une centaine, en gallo (dialecte roman parlé à l'Est de la Bretagne, ndlr).

Mon père aimait beaucoup chanter, surtout du Botrel (auteur compositeur interprète du XIXème siècle, ndlr), qui était un “larmoyant“. Mais, quand il rentrait de la pêche, il entonnait toujours Marie-Madelaine a les pieds petitons. Il y a dans les familles bretonnes un ou plusieurs chanteurs attitrés comme mon père, qu'on entend pour les fêtes et les veillées.

Aujourd'hui, je perpétue la tradition. À 79 ans, je me produis dans les fest-noz, organise une fois par semaine un atelier chant à Pripiac, et continue de chercher de nouvelles chansons, en milieu rural. Car, hélas, aujourd'hui, même un chef-lieu de canton se veut moderne, et ses habitants se soucient peu de la musique traditionnelle. Alors qu'à la campagne, on n'a encore rien perdu de notre patrimoine culturel régional. »

Propos recueilli par Béatrix Grégoire

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