“Je suis le maire d’un village fantôme !”

France Dimanche
“Je suis le maire d’un village fantôme !”

Si ce petit village de Beaumont-en-Verdunois (Meuse) figure bien sur les cartes de France, plus personne ne vit dedans depuis la première guerre mondiale. Et pourtant, elle a un représentant, Pierre Libert, âgé de 81 ans, qui gère toujours le budget…

"Chaque fois que je pénètre dans Beaumont, je suis ému car mes ancêtres sont tous nés ici. De ce village de la Meuse, entièrement détruit pendant la première Guerre Mondiale, il ne reste que le cimetière, qui est pour moi le plus beau de France, et une petite chapelle édifiée à côté du monument aux morts.

Trois mois après la déclaration de guerre, en octobre 1914, les Allemands sont venus s’installer à une dizaine de kilomètres de notre village et y faisaient des incursions régulières, tuant des paysans. Les 185 habitants ont alors pris peur et ont déserté les lieux. Ils sont partis vers le sud de la France. L’armée française a en fait décidé de l’évacuer, tout comme huit autres communes alentours. Et plus personne ne devait venir se réinstaller ici...

Après le conflit, mes parents, qui s’étaient réfugiés en Ardèche sont revenus près d’ici, à Charny, où j’habite aujourd’hui. Mais de Beaumont, il ne restait rien, sauf quelques pierres dessinant encore l’emplacement des maisons détruites et des tombes sur les hauteurs. Classée « zone rouge », il n’a jamais été reconstruit, car le sol était truffé d’obus et de munitions. Trop dangereux.

En 1919, le conseil municipal se réunit et personne ne veut que le village soit rayé de la carte. Le gouvernement d’alors leur a dit : « Pour que le souvenir perdure, nous vous le laissons ! »

"Je ne suis pas élu comme les autres maires de France, mais nommé par le préfet, et dispose d’un budget annuel d’environ 15 000 € pour frais de fonctionnement."

Je suis maire de Beaumont depuis vingt-cinq ans. Mon grand-père l’a été maire de 1925 à 1948, mon oncle entre 1948 et 1985 et ma mère jusqu’en 1990 avant que je prenne la relève. Mon fils est déjà prêt à prendre ma place. J’ai même une petite-fille de 18 ans qui est porte-drapeau lors des fêtes officielles, notamment lors de la cérémonie annuelle en l’honneur des morts de Beaumont-en-Verdunois, organisée le dimanche de septembre avant la Saint-Maurice, jour de la fête du village avant sa destruction...

Cette commune est celle de mes ancêtres. Lorsque je me promène, j’imagine encore les pas de mes aïeux. Puisque plus personne ne vient ici, sauf quelques touristes auxquels je sers parfois de guide, je me sens très proche de mes ancêtres quand j’arpente le site. Ce village, qui s’étend sur 878 hectares, se trouve sur une colline avec un point culminant à 369 mètres. Aujourd’hui, la végétation a repris ses droits et il y a des bois. C’est après la guerre que l’Office national des Forêts a reboisé la région avec des arbres venus d’Allemagne !

Mon boulot ? Assurer l’entretien du village, de la chapelle édifiée en 1933, du monument aux morts et du cimetière. Pour relier ces trois lieux, il y a une route dont les abords sont tondus cinq fois l’an pour que cela ressemble à quelque chose !

Je ne suis pas élu comme les autres maires de France, mais nommé par le préfet, et dispose d’un budget annuel d’environ 15 000 € pour frais de fonctionnement. C’est un cas tout à fait particulier dans l’histoire de France car ce village sans habitants a une vraie existence administrative. Je pense que le fait d’entretenir le souvenir de cette première Guerre Mondiale qui a fait plus de 600 000 morts est de mon devoir. On a trop tendance à tout oublier aujourd’hui... "

Recueilli par Alicia Comet

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