“Je veux réconcilier soignés et soignants”

France Dimanche
“Je veux réconcilier soignés et soignants”

Baptiste Beaulieu, jeune médecin, raconte, dans un blog devenu un livre à succès, l’incroyable quotidien de l’hôpital, des urgences aux soins palliatifs, en passant par la maternité. Un récit touchant et drôle. 
"Je trouve que l’on manque de lien social à l’époque actuelle. Je voulais le renforcer."

 
 

J’ai souhaité devenir médecin pour faire quelque chose de ma vie. En 2010, alors interne, j’ai effectué un stage aux services des urgences de l’hôpital d’Auch, dans le Gers, mon département d’origine. J’ai trouvé cela formidable. Les urgences sont un lieu de mixité sociale, les patients y sont aussi bien notables qu’ouvriers. On ne s’ennuie pas et on fait face à l’adversité en se serrant les coudes. Chacun – médecin, infirmier, aide-soignant – s’investit avec sa personnalité, ses qualités et défauts. Nous ne nous sentons pas très aimés par la population. C’est pourquoi j’ai voulu montrer l’envers du décor, en créant mon blog Alors voilà en 2012 (www.alorsvoila.com).

J’y parle de patients sans les nommer : la gamine de 14 ans enceinte, le jardinier qui a perdu un bras, la mamie constipée ou en phase terminale, le vieillard qui se rendait tous les matins sur la tombe de sa femme un bouquet à la main... Je me suis mis à raconter une histoire par jour.

Par exemple celle d’une patiente âgée, restée près de sept heures sur un brancard faute de place. Quand le service des soins palliatifs m’a finalement annoncé qu’une personne était décédée, libérant un lit, je me suis écrié : “Super !" avant de me désoler d’avoir pu me réjouir de la mort de quelqu’un. C’est un reflet du caractère vicié du système...

Autre souvenir poignant : avec le Samu, nous avions été appelés dans un internat à 3 heures du matin pour la tentative de suicide d’une adolescente de 17 ans aux longs cheveux noirs. Elle ne s’était pas ratée ! En dépit d’un interminable massage cardiaque, la jeune fille est morte. Nous sommes remontés dans la voiture en silence. Et, dans notre radio, nous avons soudain entendu des cris de nouveau-né : l’autre équipe était partie faire un accouchement.

Au départ, je n’avais qu’une dizaine de lecteurs par jour : la famille, des amis... Mais quand Le Monde m’a consacré un article, 60 000 personnes ont consulté mon blog ! Cinq maisons d’édition m’ont contacté. Mon journal de bord a été publié chez Fayard*.

Dans mes récits, j’ai essayé de tendre un pont entre soignants et soignés, de témoigner à mon échelle des belles rencontres que j’ai pu faire. Je trouve que l’on manque de lien social à l’époque actuelle. Je voulais le renforcer.

Mes collègues et confrères ont très bien accueilli le livre, les patients et mon entourage aussi. Je reçois énormément de courriels, notamment de soignants que j’ai réussi à remotiver.

Je suis persuadé que si nous savions ce qui se passe à l’hôpital – lieu qui nous concerne tous tôt ou tard –, nous aurions moins peur et éprouverions plus de respect vis-à-vis des soignants.

Aujourd’hui, j’effectue des remplacements en médecine générale à Toulouse et dans la région Midi-Pyrénées. Si l’hôpital, grande structure déshumanisée, ne me manque pas, je souffre énormément de l’absence de mes collègues. Je ris moins sans eux.

Il y a des moments difficiles. Certains patients pompent notre énergie. Il faut savoir dire stop, fixer des limites. Plus je vieillis, plus j’arrive à le faire. Mais j’ai toujours le feu sacré.

Et puis, il y aurait des choses à redire sur notre système médical. Quand le patient consulte pour un mal de dos, on le soigne sans se soucier de sa vie -professionnelle, dont il a littéralement plein le dos.

"Je milite pour une médecine qui considère la personne dans sa globalité."

Je milite pour une médecine qui considère la personne dans sa globalité. Si je n’ai pas peur de mourir, j’ai celle de vieillir : à force de voir la maladie, la démence, l’incontinence, on pense tous que l’on va finir dans cet état... Mais non, tout le monde ne connaît pas cette déchéance ! La prévention joue beaucoup. Toutefois, il faut aussi savoir profiter de la vie : aller au restaurant entre amis, boire une petite bière, danser, faire l’amour, voyager... Je préfère mourir à 70 ans en ayant pleinement vécu qu’à 130 en ayant mené une vie d’ascète !

Je sais aussi ce qu’être malade signifie : en 2010, on m’a diagnostiqué trois maladies auto-immunes, aujourd’hui stabilisées. Tout médecin devrait passer au moins une fois de l’autre côté de la barrière pour comprendre ce que ressent le malade.

Mes projets ? Passionné par les étoiles depuis toujours, je veux suivre une formation d’astrophysique à l’université. Je prévois aussi d’écrire un troisième livre [le deuxième** est sorti en février 2015, ndlr] sur le féminisme et la religion, des sujets plus polémiques.

Mon premier livre s’est vendu à 50 000 exemplaires, a été traduit dans douze pays et sera probablement adapté pour la télévision. J’en suis ravi, mais ce qui me comble le plus, c’est d’avoir rassuré des confrères et soigné des gens sans qu’ils aient eu besoin de sortir leur carte Vitale, simplement parce qu’ils avaient lu mes messages ! »

Florence Heimburger

* Alors voilà, de Baptiste Beaulieu, Fayard, 17 €. Ou au Livre de Poche, 7,10 €.

** Alors vous ne serez plus jamais triste, de Baptiste Beaulieu, Fayard, 17 €.

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