"L'Eglise m'a viré et m'octroie une retraite misérable"

France Dimanche
"L'Eglise m'a viré et m'octroie une retraite misérable"

"J'ai été ordonné diacre en 1980, prêtre en 1981, et après vingt-six ans au service de l'Eglise à Saint-Etienne, je touche aujourd'hui un peu moins de 150 euros par mois de retraite de la part de la Caisse de retraite des Cultes (la Cavimac). Et je ne suis pas le plus mal loti ! Diplômé de l'Ecole Polytechnique, j'ai été ingénieur et j'ai beaucoup œuvré dans le domaine social. Aussi, j'ai eu la chance d'être directeur d'une association dans l'insertion professionnelle. A 65 ans, liquidant mes caisses de retraites en octobre prochain, je ne cumulerai pourtant que 500 euros par mois...

Mais puisque la loi m'y autorise, j'espère continuer à travailler deux jours par semaine. Là encore, la plupart des anciens religieux et religieuses de l'APRC (Association Pour une Retraite Convenable) n'ont pas cette possibilité. Les prêtres diocésains, en particulier, vivent coupés du réel, bien logés par l'Eglise contre une somme modique, et bénéficiant d'avantages en nature considérables de la part des paroissiens. Beaucoup mènent une vie de cadre moyen, installés dans de beaux appartements de fonction.

Traditionnellement, un prêtre le reste à vie, et bénéficie, de la part de son diocèse (du moins à Saint-Etienne), d'un complément de retraite qui lui assure le maintien de son salaire. Pourquoi partirait-il ? D'autant que la plupart se croient élus pour sauver l'humanité. J'étais dans ce cas. Je vivais à la paroisse, sans aucun meuble, je cédais mon lit au vagabond pour dormir par terre, je vidais le frigo du presbytère pour distribuer même ce qui n'était pas à moi, je ne prenais jamais de vacances. Magnifique ? Non, suicidaire ! Je donnais tout mais je n'avais rien...

Vers 45 ans, les doutes sont arrivés et, avec eux, un lent et douloureux “démaillage“. J'étais aumônier des gitans, je m'occupais d'une association d'accueil des SDF et, dans ma paroisse ouvrière touchée de plein fouet par le chômage, je rencontrais des gens que mon discours n'aidait pas beaucoup. Je prêchais une foi déconnectée de la réalité. Je les ai écoutés et, suite à un long cheminement, j'ai rencontré celle qui est ma compagne aujourd'hui, Michèle.

A 54 ans, je suis allé me confier à mon Evêque qui m'a renvoyé “à la prière et à la réflexion“. J'aurais pu prier et réfléchir longtemps, m'accommoder de cette double vie. Heureusement, Michèle m'a demandé de choisir. Je suis donc retourné voir l'Evêque, pour lui dire que j'avais définitivement tourné le dos à la loi du célibat. J'ai eu droit à cet au revoir fraternel : “Il serait bien que tu quittes la paroisse avant la fin de la semaine !“ A 55 ans, j'étais effacé de la vie de l'Eglise et, du même coup, dépouillé de ma propre vie. Pour remplir ce vide et exorciser ma rancœur, j'ai entamé avec Michelle une marche sur Rome. Au retour, j'ai appris que l'Eglise m'avait coupé les vivres et que mon compte en banque était dans le rouge. Il n'y a aucune réglementation en la matière : l'Evêque peut décider ou non d'aider un ancien prêtre, par exemple le temps qu'il trouve un travail... C'est à la tête du client. Moi, je devais avoir une bonne tête car mon compte a été réalimenté !

Aujourd'hui, je suis mieux dans ma tête et dans mon cœur. Les enfants de Michèle sont devenus les miens, nous donnant cinq petits-enfants ! J'ai foi en l'homme. Jésus, l'humaniste, reste pour moi une référence, mais je n'adhère plus aux dogmes chrétiens : la sainte Trinité, la résurrection, la virginité de Marie, j'ai jeté tout cela au musée de l'enfance, avec mon célibat inutile ! J'aime mieux vivre désespéré, mais conscient, et apporter mon petit grain d'humanité en militant dans plusieurs associations, dont l'APRC."

Propos recueilli par Laurence Delville

En vidéo