“Ma fille, lynchée au collège et oubliée de tous !”

France Dimanche
“Ma fille, lynchée au collège  et oubliée de tous !”

Luisella, Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis)

Il y a trois mois, Lehna, 12 ans, était passée à tabac dans la cour de récréation. L’émotion suscitée par l’affaire est aujourd’hui retombée, et la fillette et sa maman restent seules avec leur désespoir.

« Le mercredi avant les vacances de la Toussaint, il devait être 10 h 30 lorsque j’ai reçu un coup de fil de ma fille de 16 ans, Sarah. Depuis son lycée de Romainville, elle m’appelait affolée pour me dire qu’elle avait reçu des textos disant que sa sœur de 12 ans, Lehna, encore au collège Jacques-Prévert de Noisy-le-Sec, avait la tête en sang. Je lui ai dit : “Mais comment ça, la tête en sang ?" Je ne comprenais rien. Du coup, j’ai sauté dans ma voiture et filé au collège.

Plainte

Pendant le trajet, la principale m’a téléphoné pour me dire que Lehna avait eu un petit souci. Je lui ai alors demandé pourquoi elle ne m’appelait que maintenant, lui expliquant que j’étais déjà au courant et que j’arrivais. Quand je suis entrée dans son bureau, Lehna était assise de sorte que je ne voie pas la gravité de ses blessures. Mais quand elle a tourné la tête vers moi, je suis devenue folle. La principale m’a alors dit qu’ils avaient trouvé les coupables, deux garçons, deux filles, et allaient faire ce qu’il fallait, ajoutant qu’il serait préférable que je garde Lehna à la maison pour qu’elle se repose. J’étais si dévastée que j’ai pris ma fille et suis partie porter plainte au commissariat.

Quand les policiers ont vu la petite, ils ont appelé les pompiers, ne comprenant pas pourquoi le collège ne l’avait pas fait. Lehna est partie en ambulance à l’hôpital de Montreuil, où on l’a examinée. Tout le monde était choqué. La petite avait très mal à la tête, tout le côté droit de son visage était boursouflé et ensanglanté. Bilan : un traumatisme crânien et une ITT (incapacité totale de travail) de dix jours ! Il faut savoir que cela s’est passé dans la cour de récréation et que de nombreux élèves ont été traumatisés, car Lehna a perdu connaissance.

C’est une “balayette" [un violent croche-pied, ndlr] qui a fait chuter sa copine Clémence sur les genoux. Lehna, qui lui tenait la main, est tombée sur la tête et s’est évanouie. Clémence, qui ne parvenait pas à relever Lehna, a cru qu’elle était morte. Cela n’a pas empêché un groupe d’élèves de cinquième et quatrième de la lyncher à grands coups de poing et de pied. Et aucun surveillant n’était présent pour arrêter ce carnage ! Apparemment, certains “grands" aiment bien faire ça aux “petits" de sixième, c’est une sorte de bizutage.

Lehna, passée à tabac dans la cour de son collège

Dans cette terrible histoire, tout le monde couvre tout le monde et minimise la portée de l’événement. D’ailleurs, si j’ai porté plainte contre la principale du collège, c’est parce qu’à mon sens, elle n’a pas fait son travail. Elle n’a pas appelé les pompiers, alors que ma fille avait perdu connaissance, lui expliquant, quand elle est revenue à elle, que ce n’était pas grave. Et pour couronner le tout, le lendemain, alors qu’on était à l’hôpital pour faire toute une batterie d’examens, elle a osé m’appeler pour me donner les devoirs de Lehna ! Là, je lui ai dit : “Madame, vous qui êtes une responsable d’établissement scolaire, en charge d’enfants, à quel moment décidez-vous d’appeler les pompiers ?" Elle m’a rétorqué que, comme Lehna était entrée dans son bureau sur ses deux jambes, son état ne justifiait pas qu’elle le fasse. “On n’a plus rien à se dire, lui ai-je répondu, et je porte plainte contre vous pour non-assistance à personne en danger."

Angoisse

Au moment des faits, les délégués de parents d’élèves s’étaient insurgés contre les enfants responsables : “Ce n’est pas possible qu’ils n’aient qu’un avertissement ! Il faut qu’ils passent en conseil de discipline et soient renvoyés du collège." Et depuis, plus rien ! Tant que ce n’est pas à votre enfant que ça arrive, c’est chacun pour soi. Même les professeurs avaient fait savoir tout ce qu’il se passait d’anormal dans l’établissement : “On se fait cracher dessus, insulter, mais aujourd’hui la direction nous a interdit de vous parler."

Au tribunal, c’est la même histoire. Comme on ne sait pas très bien qui est impliqué et qui ne l’est pas, rien ne se passe. Je suis très déçue et en colère. Le seul recours que j’ai trouvé pour me faire entendre, c’est de contacter les médias ! J’ai tapé à toutes les portes, envoyé des mails partout et même une lettre recommandée à l’Éducation nationale pour qu’on entende mon appel, en vain. Je reste avec ma petite, qui en plus d’avoir été à moitié défigurée a été très choquée et va aujourd’hui encore au collège avec la peur au ventre. Je trouve ça ignoble.

Lehna est toujours traumatisée

Aujourd’hui, Lehna voit régulièrement un pédo- psychiatre, elle entend mal d’une oreille, et je ne vous parle pas du traumatisme ! Elle qui appréhendait déjà d’entrer en sixième ! Elle refait pipi au lit et a un sommeil très agité. Pourtant j’ai le sentiment que, pour tout le monde, l’histoire est classée, qu’on nous laisse tomber. J’avais pourtant confiance, mais on m’a expliqué que c’était fini, que c’était du passé. J’en ai pleuré ! Je suis écœurée.

Et pour ma fille, le cauchemar continue. Je suis d’ailleurs obligée de l’emmener à l’école le matin, de revenir la prendre à midi, de la ramener l’après-midi et d’aller la chercher le soir, pour bien montrer que je suis là. Aucun des coupables n’a été sanctionné. Non, on les laisse continuer à terroriser leur monde. Ils menacent tous ceux qui ont témoigné contre eux ainsi que les petites : “On continuera à vous faire des balayettes jusqu’à ce que vous en creviez." Bref, j’ai du coup été obligée d’arrêter ma fille encore une semaine, elle était trop angoissée.

Quand vous êtes une victime, c’est rare que vous vous retrouviez avec vos agresseurs. Ma fille, elle, continue de les côtoyer tous les jours. Quatre sur la dizaine présente ont eu un avertissement, mais tous les autres n’ont absolument rien eu. Vous vous rendez compte ? Ça veut dire que vous pouvez tabasser qui vous voulez et que, au pire, je dis bien au pire, vous prendrez une petite réprimande. J’ai juré qu’au prochain incident, je changerais Lehna de collège. Mais ça non plus, ce n’est pas normal ! C’est à eux d’être renvoyés, pas à ma fille de partir.

Je suis italienne, mais ça fait plus de quarante ans que je vis en France, j’avais confiance en la justice. Là, je suis dégoûtée ! Même si mon avocat me certifie qu’il faut garder espoir, je crains que l’affaire soit bientôt classée. Pourtant j’aimerais tellement que justice soit faite. Pour Lehna. »

Caroline Berger

En vidéo