“Mon enfance de Cendrillon n’a pas entamé mon désir d’élever mes enfants dans l’amour”

France Dimanche
“Mon enfance de Cendrillon n’a pas entamé mon désir d’élever mes enfants dans l’amour”

Abandonnée par sa mère, violée par son grand-père, maltraitée par sa belle-mère, France, âgée aujourd’hui de 62 ans, aura vécu un véritable calvaire. Elle n’en a pas pour autant perdu le goût de vivre et est devenue une parfaite maman poule…

« Abandonnée par ma mère à l’âge de 9 mois, j’ai été placée, ainsi que ma sœur Mauricette, en famille d’accueil. Ma “vraie" famille, celle que j’ai adorée de tout mon cœur.
J’ai presque 6 ans quand notre père biologique décide de nous arracher à ce foyer aimant.

Lorsqu’il nous présente sa femme, son regard noir me glace le sang. Il est hors de question qu’elle – je ne la nommerai jamais ! – devienne ma nouvelle maman !

Très vite, elle fait de moi sa bonne. Je ne peux sortir de cette maison que pour les vacances scolaires chez mes grands-parents paternels à Livarot (Calvados). Mais, peu après mon sixième anniversaire, mon papy me vole ma virginité. Ce jour-là, j’ai pleuré et tremblé. Ce martyre a duré pendant plus de deux ans.

"Peu après mon sixième anniversaire, mon papy me vole ma virginité."

J’ai 10 ans quand la femme de mon père accouche de ma demi-sœur. Ma vie devient un véritable enfer. Outre la vaisselle, le ménage, la cuisine et la lessive, je dois également nettoyer les souliers couverts de sang et de viande séchée de mon père, tripier aux Halles. Lorsque mon travail ne lui convient pas, je reçois des coups. Partout, sauf sur la tête, pour ne pas laisser de traces.

Un dimanche après-midi, alors que je suis accroupie en train d’astiquer le sol de l’appartement, un coup de pied au derrière me fait voler à travers le couloir, et ma tête heurte la porte d’entrée. Je perds connaissance, et lorsque je reviens à moi, “elle" se tient devant moi, les mains sur les hanches, le sourire aux lèvres. Son sadisme est sans limites.

Elle finira même par équiper son martinet de punaises, qui m’ouvrent les cuisses comme les griffes acérées d’un chat enragé.
Je ne mange que les restes, quand il y en a, et des aliments périmés, du beurre rance ou des abats faisandés. Et je finis par tout vomir sous son regard amusé. Parfois, elle m’oblige à tout remanger. Mon père travaille la nuit et dort pendant la journée. Longtemps, j’ai cru qu’il ignorait tout.

"Dans ces moments-là, je me dis souvent : “Quand je serai grande, j’aurai plein d’enfants. Je ne leur ferai pas tout ce qu’on m’a fait, et je leur ferai tout ce qu’on ne m’a pas fait.""

Un jour, elle décide de me faire dormir dans le placard à balais. J’ai à peine la place de me retourner. Impossible de m’allonger. Après quelques nuits passées à côté de la serpillière, ce bout de tissu devient ma confidente. Je brosse ses franges, lui fais des tresses en lui racontant tous mes malheurs. Dans ces moments-là, je me dis souvent : “Quand je serai grande, j’aurai plein d’enfants. Je ne leur ferai pas tout ce qu’on m’a fait, et je leur ferai tout ce qu’on ne m’a pas fait."
Plus elle me maltraite, plus je m’évade dans mon monde intérieur. Devant le bac à vaisselle, les couteaux deviennent des bonshommes, les fourchettes des dames et les cuillers leurs enfants. Les plats se transforment en piste de danse et j’imagine ma vie rêvée.

Puis, le 27 avril 1969, elle se plante devant moi et me dit : “Tiens, tu peux te casser. T’as 16 ans, j’ai plus d’allocs pour toi." Ce jour-là, je suis à la rue.

Avec ma paie de vendeuse en boulangerie, je m’achète mes premiers vêtements et me rends compte que je ne connais rien à la vie. Mai 68, les grandes grèves, les Beatles, la minijupe... Je suis passée à côté de tant de choses.
À 18 ans, je vis dans un foyer de la DDASS. Un week-end, ma copine Lucette me propose de partir en balade avec des amis pompiers. Trois mois plus tard, je découvre que je suis enceinte.
Ne sachant pas qui est le père de mon bébé, c’est donc seule que j’accouche de Sandrine en octobre 1972. Je n’ai pas beaucoup d’argent mais j’ai quelqu’un à qui donner mon amour, quelqu’un qui pourra toujours compter sur moi.
Quatre ans plus tard, je rencontre Alphonse, le papa de mes deux autres filles, Emmanuelle et Marie. Un homme dont j’étais éperdument amoureuse. Entre-temps, je suis devenue aide-soignante. Je rends service et apporte du réconfort aux patients. C’est un épanouissement total.

"C’est Marie, ma petite dernière, née prématurée, qui un jour nous suggère d’adopter un enfant."

Et en 1985, je me marie avec Jacques. Malheureusement, à 33 ans, je ne suis plus en mesure d’enfanter, alors que mon désir d’agrandir ma famille demeure. C’est Marie, ma petite dernière, née prématurée, qui un jour nous suggère d’adopter un enfant. En 1989, nous accueillons ainsi Jean-David, puis Matthias, tous deux trisomiques.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’avoir brisé le cercle de la maltraitance. À la souffrance qu’on m’a infligée, enfant, j’ai répondu par l’amour. Je voudrais que tous ceux qui ont subi la violence de leurs parents sachent qu’ils ont le choix, le choix d’aimer, de donner et, peut-être, de pardonner. »

Marine Mazeas

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