“Mon père et mon oncle m’ont violée durant toute mon enfance”

France Dimanche
“Mon père et mon oncle m’ont violée durant toute mon enfance”

Comment soigner l’impensable ? Grâce à une thérapie, la jeune victime de ces atrocités a pu devenir une femme qui se bat aujourd’hui afin que l’inceste soit reconnu comme un crime contre l’humanité.

« J’étais une petite fille très rigolote. Et un jour, la pipelette a disparu. Je n’ai pas changé sans raison. Née en 1975 dans l’Essonne, je suis le deuxième enfant d’une fratrie de trois. Mon père était couvreur et ma mère, femme au foyer. Je tiens à préciser que le pédophile est celui aime les enfants, le pédoclaste est celui qui les viole. Ces pédocriminels n’épargnent aucun milieu, aucune religion.

Mon père m’a incestée à 6 ans. La première fois, j’étais seule dans ma chambre, c’était la mi-temps d’un match de foot à la télé. Sans rien dire, il est entré sans allumer la lumière, m’a embrassée et s’est allongé sur moi. J’ai eu cette horrible sensation d’humidité... Ma mère, absente et dépressive, n’était ni câline avec son mari ni affectueuse avec nous. Après mon père, le frère de ma mère a pris le relais.

Il a commencé à me violer très régulièrement dès que j’ai eu 9 ans. Il a arrêté à mes 18 ans, quand je suis partie. Mon oncle vivait seul dans une ancienne gendarmerie. La première fois, je me suis retrouvée sur son lit, je regardais les draps, il embrassait chaque partie de mon corps. Pendant qu’il me caressait, je comptais les livres sur l’étagère.

Ensuite, je suis “sortie" de mon corps, j’ai vu la scène d’en haut, avec cet homme énorme allongé sur moi. Quand ma poitrine a commencé à pousser, je ne l’ai pas supporté et je me suis coupé les mamelons. J’avais trop peur d’être féminine.

Mon oncle et mon père étaient amis. C’était une belle association de malfaiteurs ! Mon oncle me donnait de l’argent ou des cadeaux, comme à une prostituée. Je me suis résolue à subir, car j’avais très peur d’être abandonnée. J’ai pensé que je ne pouvais être aimée que de cette façon.

Ma mère me répétait : “Il faut que tu sois gentille et sage avec ton oncle." Parce qu’il avait connu une rupture difficile, je devais le réconforter ! Ce n’est pas le rôle d’une fillette, mais bien le quotidien d’une famille dysfonctionnelle, empoisonnée par l’inceste.

Tabou

À 18 ans, sans le bac, j’ai coupé les liens avec eux. Grâce à une thérapie, j’ai pu enfin pleurer. J’ai travaillé dans un laboratoire et trouvé un appartement. Éducatrice pour enfants, puis secrétaire médicale, j’ai multiplié les formations pendant mes congés payés. C’est ainsi que je suis devenue sexologue.

Pourtant, j’avais de graves troubles de la sexualité. Reproduisant les abus subis, je répondais au désir de l’homme, sans envie ni plaisir. Je n’ai jamais connu d’histoire d’amour avant Érick, mon compagnon depuis quatre ans.

À 32 ans, j’ai écrit une lettre à mes agresseurs. Seule ma mère m’a répondu. Nous nous sommes retrouvées dans un restaurant, où j’ai eu droit à un véritable procès. Elle a trouvé des excuses à son mari et à son frère et a inversé les rôles : “Tu te rends compte du mal que tu es en train de nous faire ?" De victime, je suis devenue bourreau ! En dénonçant mes viols, je brisais le soi-disant équilibre familial en révélant son secret. Mon oncle est mort d’une cirrhose du foie, à 56 ans. À quoi bon faire le procès d’un mort ?

Comment apprendre à panser l’impensable ? Aujourd’hui, je suis sexothérapeute et psychosomato-analyste ; mon but est de briser le mur du silence. Je conseille aux victimes d’oser se libérer de leurs chaînes, et de consulter un thérapeute. Pour un enfant, les premières personnes de confiance sont ses parents. C’est à eux de se positionner, et pas à l’enfant.

Face au prédateur, il ne peut pas dire non ni comprendre ce qui lui arrive. Il demeure terrifié à l’idée d’être rejeté. Souvent, la mère est complice, mais elle viole aussi, et beaucoup plus qu’on ne l’imagine. Certaines encouragent même leur fille à les remplacer dans le lit conjugal. Quand le crime est révélé, il est très rare qu’elles réagissent et protègent leur enfant.

L’inceste doit être considéré comme un crime contre l’humanité. Il laisse des traces indélébiles. C’est pourquoi j’ai publié cet essai*. Durant deux ans de recherches, j’ai travaillé sur les différentes législations européennes et rencontré plusieurs associations. En dénonçant leur laxisme et une justice à deux vitesses, j’ai constaté que l’inceste demeure tabou.

Ses conséquences sont dévastatrices pour les victimes devenues adultes. Je me bats contre un cancer de la thyroïde, tout mon système hormonal est déréglé. Cette maladie attise mon côté guerrier ; elle s’est déclarée une semaine avant la sortie de mon livre. Il n’y a pas de hasard ! »

* "L’interdit universel. Du mythe à la réalité, l’inceste dans tous ses états", d’Angélique Veillard, Éditions Persée.

Anita Buttez

[box type="info" style="rounded"]2 millions de Français concernés !
Le sondage Ipsos, publié en 2010, a révélé que 2 millions de Français étaient touchés par la pédocriminalité. Ce chiffre est contestable car 90% des victimes ne portent pas plainte, et 80% des plaintes sont classées sans suite.
Sous l’emprise de leur mère, la plupart des hommes ne révèlent pas les abus subis, ils ont encore plus honte que les femmes.
Entre 2005 et 2010, 23 000 crimes sexuels ont été constatés par les autorités, mais le nombre de condamnations n’est que de 6 421.
En 2010, la loi sur l’inceste est inscrite au code pénal, avant d’être abrogée en septembre 2011 !
Source : AIVI.[/box]

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