"Ne laissons pas mourir les petits bistrots"

"Voilà presque 6 ans que j'ai repris Le Fontenoy, un café traditionnel dans un village des Yvelines, à Fontenay-Saint-Père. Ici, il reste deux endroits où l'on se rencontre : l'église et le bistrot, l'une et l'autre se faisant face ! D'origine normande, j'ai grandi dans le bar-tabac que tenaient mes parents. J'ai toujours connu et aimé cette ambiance. Plus tard, j'ai travaillé dans la restauration jusqu'à reprendre ce café-tabac presse qui fait aussi dépôt de pain. J'avais des projets plein la tête. D'ailleurs, la première année a démarré fort avec, en point d'orgue, le Beaujolais nouveau qui nous avons fêté à ma manière : chacun a apporté quelque chose à manger, il y avait de la musique, des jeunes et des moins jeunes, un public mixte et bon enfant. L'activité est partie en flèche.

Seulement voilà, au lieu de réinvestir tout de suite les bénéfices de cette première année exonérée de charges, je les ai laissés dans la trésorerie si bien que l'année d'après,-moins fructueuse-, je me suis fait assommer ! A cela se sont ajoutées les hausses du prix du tabac, puis l'interdiction de fumer qui m'a fait perdre 20 % de mon chiffre d'affaires. Je ne pouvais plus commander de cigarettes et moi qui proposais des cocktails, j'ai dû réduire le choix des boissons, tout cela entraînant une perte de clientèle. Et puis la fameuse crise est arrivée et avec elle, les mises en demeures.

La banque m'a posé un ultimatum et bloqué le compte de la société comme celui des murs - je vis avec ma compagne et nos trois enfants dans un logement au-dessus du café. C'était le 15 janvier dernier. Très déprimé, j'étais à deux doigts de tout vendre. Mais ça me faisait mal au cœur pour le bistrot, ses habitués, le seul rendez-vous du village et tout ce que ça implique pour la vie locale, le lien social qui fout le camp, tous ces projets formidables enterrés...

Alors j'ai tenté ma chance sur Facebook, et monté un site internet (www.lefontenoy.fr) pour un appel aux dons, en espérant 1 € versé par 10 000 personnes, donc les 10 000 € qui nous manquent. Toute de suite, la solidarité s'est organisée. Des groupes de musique locaux m'ont proposé un concert de soutien, une cliente m'a versé 5 000 euros, un prêt à taux zéro pour débloquer le compte sur les murs ! J'ai même reçu des dons d'Allemagne et d'Angleterre de la part de gens attachés à l'image des petits bistrots français. Avec 2 700 € de dons récoltés, j'ai aussi pu payer des créances en retard.

En plus des dons, c'est aussi une mobilisation d'idées qui redonne espoir au Fontenoy : les parents d'élèves de l'école du village m'ont aidé dans l'organisation de lectures de contes pour enfants, offerts par une cliente écrivain. Je réfléchis à faire venir du théâtre, un guignol, une association me propose des représentations le samedi soir, un créateur de jeux de société organiserait des après-midi ludiques, une entreprise (www.abris-fumeur-ipc.com) m'offre un abri fumeurs éclairés et chauffés à installer dehors. On accueille aussi des concerts les dimanches après-midi. L'image du bistrot a tellement changé que même le curé vante l'ambiance familiale du lieu.

Parfois, le bistrot se transforme en garderie ! C'est devenu un endroit où l'on se rencontre, seule façon d'éviter les villages dortoirs. Un ancien propriétaire du Fontenoy (1972-1980) m'a envoyé des photos de l'époque : les anciens s'y reconnaissent, ça fait plaisir. Des images dont je vais faire une exposition, ce qui me permettra de réunir tout le monde en préservant une jolie mixité.

J'ai aussi d'autres idées, mais pour le moment, je ne suis pas sorti d'affaire, loin de là. On a ramené le découvert de 1 500 à 500 €, mais le compte de la société est toujours bloqué et je suis interdit bancaire. La grosse différence, c'est l'optimisme insufflé par tous ces gens qui ne veulent pas voir mourir les bistrots en France, le font savoir et se battent avec nous."

Pour écrire à Valéry : val.fontenoy@gmail.com

Propos recueilli par  Laurence Delville