Noémie Fansten : “J’ai enfin vaincu mon strabisme !”

France Dimanche
Noémie FanstenJI-YUN LIM

Toute petite, Noémie Fansten louchait, et a dû grandir en butte aux moqueries. Après 
des années de rééducation et deux opérations, elle partage son combat dans un livre et sur scène.

«Dès mon plus jeune âge, je me suis mise à loucher. Mon œil droit avait envie de se rapprocher de mon nez. Résultat : je voyais différemment des autres, sans le savoir.

Par ailleurs, je suis “synesthète" : j’associe les couleurs aux sons, entre autres.

Atteinte d’un fort strabisme, et également astigmate et hypermétrope, j’ai passé une partie de mon enfance dans les cabinets d’ophtalmologie pour tenter de soigner ces problèmes.

Je devais notamment regarder dans un appareil deux images – l’une d’un lion, l’autre d’une cage –, et n’en former qu’une en faisant rentrer le lion dans la cage, d’où le titre de mon livre (éd. Michalon). Alors mes yeux seraient droits et moi une fille comme les autres.

Je devais aussi porter d’immenses lunettes à double foyer et aux verres épais. En maternelle, ce n’était pas gênant, les enfants sont plutôt bienveillants entre eux. Au primaire, ça s’est corsé. On m’a traitée de “bigleuse", “binoclarde", “serpent à lunettes".

Je rêvais d’être un jour une héroïne... sans lunettes.

Réconciliée

En plus, j’étais nulle dans tous les jeux de ballons. J’ai réalisé plus tard que c’était inhérent à mon strabisme : la vision en relief me faisait défaut.

Pour les médecins, c’était une telle évidence qu’ils ne me l’avaient jamais expliqué.

Quand on m’a opérée, à 10 ans, pour raccourcir mes muscles oculaires, ce fut une délivrance. J’ai dû rester un mois à la maison car je n’avais pas le droit de “fixer", lire, regarder la télévision...

Une expérience dont je garde un bon souvenir : une baby-sitter me racontait des histoires.

J’ai appréhendé le monde par d’autres sens, l’audition notamment.

Toutefois, je fus déçue : j’ai dû porter des lunettes jusqu’à l’âge de 13 ans. Alors, quand j’ai pu enfin m’en défaire, ce fut une renaissance, j’étais libérée de tout complexe.

Puis, à 19 ans, retour des vieux démons : on me diagnostique une myopie. Je dois encore porter des binocles ou des lentilles, que j’ai heureusement très bien supportées.

Mais, à 24 ans, nouvelle opération des yeux.

Aujourd’hui, je reporte parfois des lunettes, mais c’est redevenu à la mode. Je travaillais dans l’édition. On a cru que je les mettais pour me donner un style. Désormais, je me suis réconciliée avec mes montures.

J’ai cependant voulu écrire sur mon vécu, parallèlement à mon blog sur mes rêves (www.leblogdemesreves.fr), dans un livre, suite à l’accident dont mon fils a été victime à 3 ans. Il est passé au travers d’une table en verre, se blessant grièvement : les nerfs de son bras droit ont été sectionnés. Il a perdu l’usage de sa main pendant de longs mois.

Depuis, il a subi plusieurs opérations suivies de séances de rééducation.

Les yeux au ciel, je demande : “Alors comme ça, on ne peut pas avoir une enfance normale dans la famille ?

Ça ne s’arrêtera donc jamais ?

"Il nous a fallu plusieurs semaines avant de tomber sur un ciné spécialiste de la main. Mes parents aussi avaient eu du mal à trouver une bonne ophtalmo. Nous veillons à ce que son poignet se redresse, tout comme mon œil.

Mais faut-il vraiment être dans la norme ?

Mon expérience m’aide à discuter avec mon fils : je lui apprends à relativiser les moqueries des autres enfants et lui explique que le fait de ne pas voir comme tout le monde a développé chez moi une hypersensibilité et nourri mon imagination. Et nous ferons tout pour que son rêve de devenir acrobate s’accomplisse...

Mon livre a permis quant à lui à mes parents et à mes proches de réaliser qu’on ne connaît pas les blessures de ses enfants. Il les a aussi aidés à les percevoir. Il incite également d’autres parents à consulter un ophtalmologiste pour un enfant qui n’arrive pas à bien se localiser et éprouve une hypersensibilité auditive.

J’ai synthétisé mon livre en un spectacle que j’interprète seule au théâtre de la Contrescarpe à Paris jusqu’au 24 avril. Mis en scène par l’artiste Bertrand Suarez-Pazos, il fait appel à des créations sonores et visuelles pour représenter ma perception de synesthète. Entre 0,5 et 4 % de la population est atteinte de cette affection et peut entendre des couleurs et voir les sons, avoir une perception sensorielle différente des autres. Selon moi, c’est un don ! »

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Florence HEIMBURGER

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