« Nos agneaux sont décimés par un nouveau virus ravageur !»

France Dimanche
« Nos agneaux sont décimés par un nouveau virus ravageur !»

Comme ses collègues, cet éleveur de moutons de la Somme reste impuissant devant les ravages causés par un virus mortel sur ses bêtes nouveau-nés. Bilan : 168 décès en six semaines.

« Comme chaque année, l'agnelage a démarré aux alentours du 10 janvier. Très vite j'ai remarqué que quelque chose clochait : certaines brebis avaient des difficultés à mettre bas. Leurs petits étaient soit mort-nés, soit difformes, incapables de se tenir droit sur leurs pattes fragiles. Au début, je ne me suis toutefois pas trop inquiété : un petit pourcentage de bêtes meurt toujours dans les heures qui suivent la naissance (environ 8%, soit une quarantaine d'agneaux). Mais, en une semaine, ces « accidents de parcours » se sont multipliés. Je ne savais plus où donner de la tête ! Une brebis mettait bas un prématuré ; Une autre expulsait un petit mort-né, ou malformé, qui avait les articulations soudées, ou la colonne vertébrale tordue. Le nouveau-né ne survivait alors que quelques heures. Jamais je n'ai assisté à une telle hécatombe ! Dans la bergerie, j'étais au chevet de mes agneaux qui tombaient les uns après les autres. De fait, l'équarrisseur était obligé de passer plusieurs fois par semaine pour ramasser les cadavres.

Devant ce désastre, mon premier réflexe a été d'appeler mes voisins, eux aussi éleveurs d'ovins. Constataient-ils les mêmes dégâts ?  Enregistraient-ils les mêmes pertes ? D'où cela pouvait-il venir ? Je me suis très vite aperçu qu'on était tous confrontés au même problème. On s'appelait au téléphone plusieurs fois par jour, chacun décidant alors de prendre contact avec son vétérinaire.

Dans tous les élevages, le constat est identique : les bêtes meurent d'une maladie inconnue peu après leur naissance. Les brebis ne semblent pas affaiblies. Seuls les agneaux sont touchés. On décide alors d'envoyer trois de nos bêtes décédées pour les faire analyser au laboratoire départemental d'Amiens. Celui-ci vient justement de recevoir une note du ministère de l'Agriculture concernant l'apparition d'un nouveau virus, identifié le 25 janvier, qui s'attaque notamment aux ovins.

C'est finalement le laboratoire spécialisé de Maisons-Alfort qui va établir avec certitude l'origine de ces décès en masse. Ils sont dûs à un nouvel agent pathogène qui, depuis peu, fait des ravages dans toute l'Europe. Les vétérinaires nous en apprennent davantage sur ce mystérieux virus. Il s'appelle Schmallenberg parce qu'il a été isolé pour la première fois cet automne, dans cette petite ville d'Allemagne de l'Ouest. Aucun vaccin n'est encore disponible. On sait seulement que ce virus a transité par les Pays-Bas et la Belgique et qu'il est, depuis cet hiver, chez nous. À l'heure actuelle, on en est encore au stade des suppositions : ce germe serait véhiculé par des insectes volants comme les moustiques ou les moucherons qui piquent les brebis en période de gestation. Par voie sanguine, le fœtus serait atteint et ne se développerait plus normalement. Il est vrai que cette année, les moustiques ont été nombreux à cause des températures clémentes enregistrées à la fin de l'été...

Le plus difficile aujourd'hui c'est de sentir à quel point on est désemparé face à ce fléau. Bien sûr, on se soutient entre éleveurs. Tous solidaires. On se remonte mutuellement le moral. Mais chaque fois qu'on en discute au téléphone, c'est pour faire le même constat d'impuissance.

Depuis le 20 février, l'agnelage est terminé. Je suis en train de faire mes comptes : j'ai perdu 168 agneaux en six semaines, soit quatre fois plus que d'habitude. Heureusement, il me reste tout de même 408 agneaux vivants, normaux et en parfaite santé. Mais la perte est rude. Un agneau se vend entre 110 et 120 €. Il suffit de faire le calcul. L'argent n'est toutefois pas la seule chose qui nous préoccupe. On s'interroge tous : comment va se passer le prochain agnelage, en juin ? Les brebis seront-elles toujours infectées ? On est tous dans l'expectative. Inquiets. Car le virus, s'il a été identifié, continue sa progression pernicieuse. L'épidémie n'est certainement pas enrayée. »

Propos recueilli par Alicia Comet

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