"Où est passée la France de mon enfance ?"

France Dimanche
"Où est passée la France de mon enfance ?"

Mes parents sont venus de Pologne en France en 1929 pour travailler. Mon père était  mineur de fond. Je suis née en France en 1932. Quand la guerre a démarré en 39, j'avais 7 ans, j'avais déjà deux frères et ma mère ne travaillait pas, d'ailleurs, dans mon temps, les femmes restaient à la maison pour élever les enfants. Au début, nous étions logés dans les baraques au Baudras dans la commune de Sanvignes-les-Mines. Quand ma mère a eu 3 enfants, on a eu droit à un logement plus grand aux Essarts dans la même commune, sans confort, sans salle de bains, W.C., chauffage, etc.

Mais, en revanche, il y avait un jardin avec des arbres fruitiers, un cerisier, 3 pommiers, un poirier et un prunier. Mes parents cultivaient des légumes, il le fallait bien car la paie d'un mineur de charbon ne suffisait pas à nourrir une grande famille. En tant qu'étrangers, nous n'avions pas droit aux allocations familiales ni aucune autre aide. Tout cela ne nous affectait pas. Mes parents, de souche paysanne, se débrouillaient, ils élevaient un cochon par an, des canards et mon père des pigeons, c'était son “dada".

Malgré la guerre et les restrictions d'alimentation, ma mère nous cuisinait de bons repas. Oh ! les bonnes soupes, les pâtes faites à la main, les raviolis maison. Des repas sains, naturels, sans conservateur ni colorant, le poison d'aujourd'hui.

Je vais vous parler un peu de moi. En 1942-44, ma mère m'envoyait au ravitaillement chez les paysans. Je faisais des kilomètres avec un litre de vin, du café, chocolat que mon père touchait comme mineur pour les échanger contre autre chose. Quand je pense maintenant à ces temps-là en temps de guerre... Aujourd'hui, sans la guerre, je ne pourrais plus parcourir à vélo en pleine campagne, j'aurais peur, comme j'ai peur de sortir en voiture le soir avec tout ce qui arrive aux femmes, violées, brûlées, assassinées pour rien ! Des innocentes. Quand je regarde à la télé “Faites entrer l'accusé", et toutes ces belles femmes qui perdent la vie, je pleure.

Je pleure aussi en écrivant ces mémoires et je me dis : “Ce que tu as vécu en 39, les restrictions, les non-confort, les W.C. à l'extérieur, faire des kilomètres pour quelques patates, aller au moulin, se faire geler pour rien car souvent je revenais sans recevoir un kilo de farine. Tout cela n'était rien. Dans mon enfance il faisait bon vivre, il y avait de la joie, de la sécurité, de la tranquillité. A qui le devions-nous s'il n'y avait de voleurs, de violeurs, d'assassins, de trouble-fête ? A la police !

De mon temps, c'est la sévérité de la police qui faisait notre bonheur de vivre en paix. En 1945, après la guerre, j'allais danser à 15 km de chez moi, à pied, je rentrais tard, je n'avais pas peur et il ne m'est rien arrivée. Je me rappelle que ma mère ne fermait même pas la porte d'entrée à clé le soir avant d'aller se coucher.

Aujourd'hui, à 80 ans, mon seul compagnon est la solitude. Avant de me coucher, je regarde si toutes les portes et fenêtres sont bien fermées. Je pense à ces retraités qui se font assassiner dans leurs maisons. Je pense aux enfants, à tout ce qui leur arrive à l'école. De mon temps, les filles étaient séparées des garçons, nous avions des cours de récréation séparées et l'hiver, quand il y avait de la neige, on nous sortait 10 à 15 minutes avant les garçons. A chaque “récré“, il y avait une maîtresse de garde. C'était ça la protection de l'enfance.

Il ne fallait pas se plaindre aux parents quant on avait un coup de règle sur la main. Ma mère me disait que si la maîtresse te donne un coup de règle, c'est que tu l'as mérité, et je n'avais rien à dire. C'était cela, la France de mon enfance, le respect des maîtres, et le respect des parents, pour le bien de tous. Mes parents ont toujours eu le dernier mot et c'était très bien, j'étais quelqu'un de bien élevé.

J'ai élevé mes trois enfants dans cet esprit-là. Tous ont du travail, assistante maternelle, professeur des écoles, électricien, jamais de chômage.

Voilà, c'est juste un fragment de ma vie, mais le sujet est toujours d'actualité."

Janine Verilhac

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