« Pédiatre, j'amène mes petits malades en vacances »

France Dimanche
« Pédiatre, j'amène mes petits malades en vacances »

« Il y a vingt ans, des médecins de l'hôpital pour enfants Robert-Debré, où je travaille, ont amené quelques enfants malades suivre une régate, pour les distraire. Mais ils ont tellement aimé le séjour que nous avons décidé d'organiser bénévolement "La Régate des oursons", une sortie en bateau de plusieurs jours en Bretagne pour les jeunes pensionnaires de notre établissement.

Je me suis lancée dans cette aventure avec la double casquette de pédiatre et de skipper. Je me suis investie, car personne ne voulait assumer les enfants trachéotomisés, dont je m'occupe, et qu'il faut surveiller en permanence. Chaque année, pendant quatre jours, nous amenons ainsi en mer, au large de Bénodet, une cinquantaine de patients âgés de 6 à 17 ans, touchés par des pathologies graves ou en soins palliatifs.

Aucun de ces enfants, du fait de la nécessité de soins très lourds et pluriquotidiens, n'aurait la possibilité de partir car ils sont atteints de leucémies, mucoviscidoses, diabètes, cancers, sont dialysés ou ont subi des interventions chirurgicales lourdes. Nous leur offrons leurs seules vacances ! Pendant quelques jours, ils jouent aux navigateurs : toute la journée, ils barrent, hissent les voiles, font des promenades en bateau à moteur et le soir, nous leur organisons boums et karaokés... Ils sont émerveillés par ce séjour !

Chaque année, ils oublient leur maladie et, en même temps, comme me le disait le petit François “Moi, à l'école, on ne me considère pas comme les autres, ici on est tous pareils“. Ils voient aussi l'équipe soignante sous un autre jour et, par la suite, ils n'ont plus la même relation avec nous. Lorsque nous rentrons à l'hôpital, ils appréhendent moins les soins, car ils nous font davantage confiance. J'ai coutume de dire que la régate, c'est comme le combat : cela crée des liens très forts entre ceux qui l'ont fait.

Cette aventure nous a fait aussi rencontrer des gens exceptionnels comme Jacqueline Tabarly, la veuve du navigateur. Depuis dix ans, elle met à notre disposition ses voiliers, les célèbres Pen Duick. Elle est même devenue marraine de la régate, et nous a mis en relation avec des propriétaires qui nous prêtent leurs bateaux. Cela nous aide bien, car l'organisation et la recherche de sponsors nous demandent beaucoup de temps et d'énergie. Nous transportons littéralement l'hôpital à la mer, et il faut un soignant pour trois enfants.

Ce qui est formidable, c'est que ce personnel vient de tous les services de l'hôpital : outre l'équipe médicale, nous pouvons compter sur une équipe technique, qui nous épaule. Ils sont tous là pour faire oublier leur quotidien à nos petits patients. En vingt ans d'aventure, mon plus beau souvenir, c'est cet enfant qui se savait condamné, et chantait à tue-tête “La ballade des gens heureux“ à bord du navire. C'est pour lui et tous les autres, que chaque année, nous reprenons la mer ! »

Propos recueilli par Marie Godfrain

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