“Perdu en pleine mer, j’ai nagé 15  heures pour ne pas mourir”

France Dimanche
“Perdu en pleine mer, j’ai nagé 15  heures pour ne pas mourir”

Jean, Rivière-Saas-et-Gourby (Landes)

Ce marin de 52 ans est tombé de son voilier et a dû se démener toute une nuit avant d’atteindre le rivage. Sain et sauf, il raconte son incroyable aventure et jure qu’il a bien retenu la leçon...

« Ce dimanche après-midi, 30 juin, je suis en train de bricoler sur mon bateau amarré au port de Capbreton dans les Landes, lorsque me prend l’envie de faire un tour au large. Comme cela m’arrive parfois, je décide d’aller contempler le coucher de soleil. En cette fin d’après-midi, la mer est calme et le vent souffle. Je sors la grand-voile, borde le génois et largue les amarres. J’aime la mer ; je fais de la voile depuis que je suis petit. J’ai déjà traversé l’Atlantique en bateau et je navigue chaque année aux Antilles. J’ai le pied marin et j’aime me retrouver seul sur mon voilier, l’Adelante, un Beneteau de 35 pieds que j’ai depuis trois ans.

Hélas, je ne prends pas la précaution de mettre mon gilet de sauvetage. Après une manœuvre, le génois se coince et je suis obligé d’aller à l’avant du pont en me tenant au câble de sécurité pour tenter de débloquer le bout coincé. Le pilote automatique fonctionne. Tout à coup, je perds l’équilibre et passe par-dessus bord. Ma main droite s’agrippe au câble. Je bataille pendant plusieurs secondes et finis par lâcher prise. En tee-shirt et short au milieu de l’océan, j’assiste, impuissant, au départ de mon voilier. Les voiles sont gonflées et le voilà qui file sans plus personne à bord vers une destination inconnue.

Je ne me sens pas bien. J’ai du mal à évaluer l’heure qu’il est et la distance qu’il me faut parcourir pour rejoindre la côte... d’autant que je ne la vois pas. Il va falloir nager, nager. Mais dans quelle direction ?

Je suis né au bord de l’eau, à Casa­blanca, mais je ne suis pas un nageur émérite, même si je fais de l’apnée et de la natation en piscine régulièrement. Disons que je tiens l’eau. Au début, je n’ai pas froid et je me lance à la brasse. Je comprends aussi que le temps passe vite. La nuit va tomber même si on est en plein été. Le clapotis s’intensifie ; la houle se forme. Mais je ne suis pas désespéré. Dès que les mauvaises pensées m’assaillent, je me mets à compter le nombre de brasses que je fais. Lorsque je perds le fil, je recommence à zéro. Sans perdre courage. Je n’ai pas d’autre choix que d’avancer. Ma montre s’est arrêtée. Je perds la notion du temps. Je ne suis qu’un corps en mouvement qui avance vers nulle part.

À la nuit tombée, je me focalise sur des points lumineux à l’horizon. Ce sont des bateaux. Je ne vais plus nager en rond ; je vais essayer de tenir le cap. Cela me réconforte d’avoir un objectif. Je reprends confiance. Depuis le début, je nage lentement pour économiser mes forces. Je n’ai pas de crampes ; je n’ai pas froid non plus. L’eau doit être à 18 °C... Je n’ai pas faim. En revanche, j’ai très soif. Pour tenter de me désaltérer, je remplis ma bouche d’eau de mer avant de recracher. Je n’en avale que quelques gouttes.

Je sais qu’il ne faut pas ingurgiter d’eau salée. Je me souviens toutefois d’avoir lu que Alain Bombard lui-même avait bu de l’eau de mer en petites quantités lors de sa traversée de l’Atlantique en solitaire en canot pneumatique. Je me raccroche à ça. Je fais la planche pour reposer mes cervicales douloureuses. Si je m’arrête, je claque des dents. Je pense sans cesse à mes quatre enfants à terre qui doivent être dans tout leur état...

Épuisé

Le jour qui se lève me redonne espoir. J’aperçois deux hélicos de secours. Au loin, je distingue les dunes. Je tente de rejoindre ce rivage. À bout de forces, je me laisse porter par les vagues et parviens à passer la barre des déferlantes. En me rapprochant, je vois un homme, de dos, occupé à ramasser des cordes. Je vais lui faire peur si je l’aborde. Je titube et lui explique que je suis tombé de mon bateau la veille. Je lui demande l’heure : il est 10 heures du matin. Il file chercher les secours. La première chose que je demande aux pompiers, c’est un Coca. J’en ai tellement rêvé ! J’ai la gorge desséchée, la langue gonflée.

Hospitalisé à Bayonne pendant trois jours, je me rétablis vite. Je m’en veux, car je sais que j’ai commis l’imprudence de partir seul et sans mon gilet équipé d’une balise de détresse. Mes enfants et ma femme m’ont cru mort. Je voudrais aussi remercier tous ceux qui sont partis à ma recherche. Je sais que j’ai eu de la chance. Aujourd’hui, j’ai envie de reprendre la mer. Mais plus jamais en solitaire... Toujours à bord de mon Adelante bien sûr, qui a fini par échouer sur la plage et que j’ai retrouvé certes un peu “chahuté", mais finalement en bon état  ! »

Propos recueilli par Alicia Comet

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