"S'il me faut me couper les doigts pour être entendu, je le ferai"

France Dimanche
"S'il me faut me couper les doigts pour être entendu, je le ferai"

« Lorsque le tribunal de Châlon-sur-Saône a annoncé l'extinction de l'action publique concernant les abus sexuels qu'ont subis mes deux filles, j'étais effondré. Je me suis précipité devant le tribunal et j'ai commencé à me sectionner l'auriculaire avec un cutter. Mais je ne suis pas allé jusqu'au bout car le substitut du procureur est venu me voir et m'a donné un rendez-vous. Il a fallu en arriver là pour être enfin écouté. Si j'ai fait ça, c'est parce que je ne peux pas accepter que mes filles ne soient pas reconnues victimes et que l'auteur présumé des faits n'ait pas été jugé.

Ma femme et moi avons découvert les faits le 2 août 2007, après la tentative de suicide de ma fille cadette, Adeline, 24 ans. Elle venait de terminer son année de fac de psychologie à Dijon. C'était une enfant difficile qui se cherchait. Mais j'étais loin de me douter qu'elle souffrait et  cachait un terrible secret. Une nuit, à 5 h 30, elle a décidé d'en finir et a sauté par la fenêtre de son appartement situé au cinquième étage.

Par chance, elle vivait à proximité de l'hôpital général. Elle avait plus de deux cents fractures ! Pendant ses sept jours de coma, on a essayé de comprendre son geste. Elle avait laissé une lettre dans laquelle elle écrivait : “Ne cherchez pas à savoir ce qui s'est passé dans mon enfance. Je suis bien trop pudique pour que cette affaire s'étale sur la place publique.“ On a donc interrogé sa sœur qui n'a pas pu trouver la force de tout révéler. C'est ma nièce qui a tout avoué. Adeline avait subi des attouchements sexuels entre 6 à 11 ans de la part du compagnon de ma mère. Mon autre fille, Aurélie, et ma nièce avaient vécu le même calvaire. C'était terrible ! Pendant toutes ces années, je ne m'étais rendu compte de rien !

En octobre 2007, Aurélie et ma nièce ont porté plainte contre cet homme. Mais Adeline, elle, a refusé. Elle s'est enfermée dans le mutisme. En réalité, elle avait trop peur de se retrouver devant cet homme au tribunal. Mais Aurélie s'est exprimée et a confié que dès les premiers abus, elle en a parlé à sa grand-mère qui lui a répondu : “Si tu le dis à ton père, ça va le tuer.“

En 2008, Adeline a progressé. Les médecins nous avaient informés qu'elle ne remarcherait pas avant un an, mais elle s'est accrochée et marchait au bout de quatre mois. Et en janvier 2009, elle a accepté de porter plainte. Un mois plus tard, on a reçu par courrier la date du procès qui devait se dérouler en décembre. Enfin, il allait être jugé ! Quelques semaines plus tard, nous avons fêté Pâques en famille. Adeline semblait heureuse, et m'a dit : “Papa, je m'en sortirai !“. Une semaine plus tard, elle s'est suicidée en absorbant des médicaments. Dans son journal intime, elle expliquait avoir fait beaucoup d'efforts pour remarcher afin de retrouver son autonomie et de tenter à nouveau de mettre fin à ses jours ! J'ai compris que cette fête en famille était pour elle un adieu. Elle ne pouvait pas vivre avec ce qu'elle avait subi.

Le 14 décembre 2009, on était tous présents au tribunal quand on nous a annoncé que le présumé coupable était hospitalisé. Le procès était donc reporté au 18 mai 2010 avec des demandes d'expertises psychologiques et médicales. Les spécialistes ont conclu que le prévenu présentait une perversité sexuelle avérée, et qu'il exagérait ses problèmes de santé pour échapper à la justice. Malgré cela, quand il s'est présenté à son procès le 18 mai dernier en brancard, la cour a décidé de nouveau de renvoyer le procès. Je me suis énervé, leur disant : “Vous attendez qu'il soit mort, c'est une honte !“. Cet homme avait 82 ans et, le 25 mai, il est décédé...

Depuis j'ai été reçu par le procureur, et je lui ai dit que j'attendais beaucoup de la plainte déposée contre ma mère pour “non-dénonciation de crime“. Elle savait tout et n'a rien fait. Pour moi, elle est complice et doit être condamnée. Et j'irai jusqu'à me couper les cinq doigts de la main s'il le faut. C'est désormais le combat de ma vie, contre ces pédophiles qui détruisent des enfants. Et si je parviens à en sauver un seul  j'aurais réussi ma vie. »

Propos recueilli par Marine Mazéas

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