“Sourd et fier de l’être !”

France Dimanche
“Sourd et fier de l’être !”

Malgré le fait d'être sourd, il a réussi à ouvrir sa propre entreprise. Il se bat maintenant pour que la langue des signes permette l’émancipation de ces handicapés.

Erwan, Montpellier (Hérault)

« Très tôt, je me suis aperçu que les gens me regardaient comme si j’étais un handicapé mental, alors que j’étais seulement sourd. Ce n’est pas facile de s’en sortir dans ces conditions, mais j’ai eu la chance d’avoir des parents qui n’ont jamais baissé les bras. Ils se sont battus pour me trouver de bonnes écoles, me répétant constamment que j’avais les mêmes capacités que tout le monde.

Je suis né dans les années 80, à l’époque de ce qu’on appelle maintenant le “réveil sourd". En effet, la langue des signes, qui avait été interdite en 1880 afin de privilégier la méthode orale, refaisait progressivement son apparition. C’est ainsi que j’ai pu suivre ma scolarité dans un établissement classique de l’éducation nationale qui proposait un enseignement bilingue. Il n’y a que peu de classes comme celle-ci, et j’ai dû passer des années loin de mes parents, accueilli en famille d’accueil, pour suivre mes cours. Je ne le regrette absolument pas, car c’est l’école qui m’a permis d’acquérir mon autonomie.

Mais de nombreux sourds vont plutôt dans des instituts spécialisés qui dépendent du ministère de la Santé, où les enfants vivent en vase clos, où l’on ne fait que leur répéter que leur vie sera difficile. Je le sais, car j’y ai passé quelques années. Quand j’ai dit que je voulais faire de l’électronique, on m’a imposé de faire d’abord de l’électrotechnique, comme le voulait un autre jeune sourd. Tout cela pour faire des économies...

Où est l’égalité des chances ? Même si j’ai tout réussi haut la main, que de temps perdu ! Je milite pour que ces instituts ferment car, sous couvert de discours bien-pensants, ils ne servent ni les sourds ni la langue des signes ! Ce sont des milieux fermés, parfois violents, où l’on n’hésite pas à tricher lors des examens nationaux pour garder de bonnes statistiques de réussite ! C’est une honte de laisser perdurer ce système.

Erwan doit beaucoup à ses parents qui se sont battus pour qu'il aille dans les meilleures écoles

Respecté

Ma vie a pris un tournant quand j’ai déménagé, seul, à Montpellier pour suivre une formation multimédia. D’abord désorienté, j’ai vite lié connaissance avec ma voisine, à qui j’ai enseigné la langue des signes. Quand le président de l’Association des sourds de Montpellier l’a appris, il m’a embauché comme formateur. Enfin, je me suis senti exister, j’ai pris confiance en moi et j’ai découvert que j’étais respecté. Quand j’avais du temps libre, je regardais mes collègues réparer nos ordinateurs. Et, à force, je suis devenu meilleur qu’eux ! J’ai réalisé un nouveau site internet pour l’association, site que j’améliorais constamment. J’ai également suivi une formation de trois mois dans l’audiovisuel pour parfaire mes connaissances. Là aussi, ça n’a pas été évident, car j’ai dû trouver un interprète disponible pour me suivre dans cette aventure.

Puis, j’ai décidé d’ouvrir mon agence multimédia. Créer son entreprise s’apparente souvent à un parcours du combattant, et c’est encore pire quand on est sourd. Heureusement, mon associée, non sourde et pratiquant la langue des signes, a pris en charge une partie des démarches administratives. Mon entreprise fonctionne plutôt bien, même si j’aimerais pouvoir accompagner davantage de jeunes sourds désirant travailler dans ce secteur. Malheureusement, les initiatives que j’ai essayé de mettre en place se sont soldées par des échecs qui m’ont affecté financièrement et moralement.

Erwan et son associée, Céline, entendante qui pratique la langue des signes

Mais je ne désespère pas. Je veux continuer de soutenir ces jeunes, d’autant que la crise et le chômage nous touchent durement ! Je milite dans plusieurs associations, j’en conseille d’autres, car je souhaite faire comprendre que nous ne sommes pas des handicapés mentaux ni des patients qu’il faut aider ou “réparer" grâce à des implants.

Je suis contre ces pratiques et ces spécialistes qui laissent croire aux parents qu’un enfant qui n’entend pas deviendra un enfant qui ne réfléchira pas. En effet, cela ne résout pas tout, l’enfant doit ensuite être suivi par des orthophonistes, il a constamment besoin de réglages... Selon moi, l’enjeu de ces implants est purement commercial et ne respecte pas la personne. Nous ne sommes pas des cobayes. On ne peut pas nous réduire à nos oreilles. »

Opération de sauvegarde des sourds : www.oss2007.org

Propos recueilli par Julie Boucher

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