Rencontre avec David Foenkinos, auteur de Charlotte

France Dimanche
Rencontre avec David Foenkinos, auteur de Charlotte

Il est des ouvrages que vous ne revendrez jamais tant ils vous ont marqués. Dans 10, 20 ou 30 ans, Charlotte de David Foenkinos aura toujours sa place dans votre bibliothèque et en l’apercevant vous en aurez encore le souffle coupé.

Surtout dans sa version illustrée que Gallimard a eu la bonne idée de publier un an après que l’ouvrage a remporté le prix Renaudot et le Goncourt des lycéens.

« En écrivant mon roman, je pensais qu’il fallait l’accompagner des gouaches de Charlotte, mais mon éditeur m’a convaincu qu’il fallait sortir le livre sans. J’étais d’accord mais j’attendais cette édition illustrée, tout comme j’espère que chaque lecteur veut découvrir l’œuvre de Charlotte Salomon. »

Charlotte et son père, le Dr Albert Salomon, Berlin, 1938 © JEWISH HISTORICAL MUSEUM D'AMSTERDAM

Autour d’un café, l’auteur nous conte l’histoire de l’héroïne de sa vie : une jeune Berlinoise sauvée par sa peinture. Issue d’une famille où toutes les femmes se suicident (grand-mère, mère, sœur), Charlotte rompt la malédiction.

Très talentueuse, elle est la seule Juive à intégrer les Beaux-Arts de Berlin et, en pleine montée du nazisme, et à y remporter le premier prix.
Mais son père, craignant pour sa vie, l’envoie rejoindre ses grands-parents à Villefranche-sur-Mer. À 20 ans, elle s’exile sans savoir qu’elle ne le reverra jamais, pas plus qu’Alfred, son premier et éternel amour.
Retrouvant la lumière dans une France qui ne sera bientôt plus libre, elle peint malgré la menace de la délation. Une seule fois, en mer, elle est tentée d’en finir. « Avant que la mort ne la prenne » ou « pour ne pas la donner à l’ennemi », écrit l’auteur.

Dès lors, entre 1940 et 1942, deux ans avant une déportation fatale à Auschwitz, elle se jette à corps perdu dans une autobiographie artistique. Comme pour laisser une trace. Elle raconte sous un titre énigmatique, Vie? ou théâtre?, sa courte existence, en peintures, dialogues et indications musicales.

Personnel

Parmi la cinquantaine de gouaches que David a choisies, il remarque que les dernières sont « tracées dans l’urgence ». Encore aujourd’hui, on le sent habité par « cette vie tragique cernée par la mort ».

Pourtant, cinq mois avant de périr dans une chambre à gaz, enceinte d’un Autrichien, perdu comme elle dans la villa remplie d’orphelins d’une riche amie américaine, elle espérait donner la vie.

© Charlotte Salomon, et nous te montrerons Rome…

L’auteur de Je vais mieux, inconditionnel de la culture allemande, est marqué à jamais par sa rencontre fortuite avec Charlotte lors d’une exposition en 2006. C’est pourquoi il a voulu raconter son histoire. Après de multiples brouillons, le déclic arrive... grâce à la forme : écrire une phrase par ligne de 87 signes maximum. « Ça m’a sauvé » confie-t-il.
Tout comme Charlotte l’a sauvé, car il l’avoue aujourd’hui : après le succès phénoménal de La délicatesse, vendu à 1 million d’exemplaires, « j’avais le sentiment de tourner en rond, avec des histoires légères et répétitives ». Pourtant, il n’a jamais cherché son drame. Il est juste arrivé au bon moment. Tant mieux pour lui et pour nous !

Histoire vraie

© Charlotte Salomon, Franziska

Quant à l’après-Charlotte, David nous confie s’être senti un peu vidé, incapable d’écrire une ligne pendant un an, pour la première fois de sa carrière ! « Car étrangement, c’est sans doute mon livre le plus personnel, le seul où je dis “je". C’est ma première histoire vraie ».

Un ton qui a rajeuni son lectorat : « Ils ont aimé que j’explique mon admiration pour elle ».

Sous le choc, il est néanmoins parvenu à se remettre à l’ouvrage et sort un nouveau roman en avril, « plus drôle ».
Mais Charlotte reste en lui. Ainsi, s’improvise-t-il biographe officiel, présent à toutes les expositions (à Nice en février) de la jeune artiste.
Avant même sa publication en poche, puis aux États-Unis, les ventes atteignent déjà le demi-million. Mais David est surtout heureux d’avoir fait œuvre utile. « Je suis content de l’avoir fait connaître, souffle-t-il. Ravi aussi de l’avoir rendue lumineuse dans la tragédie ».

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Les gouaches de Chalotte Salomon qui a peint son histoire durant la seconde guerre mondiale 

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Abasourdi devant l’ampleur du courrier reçu, il pourrait dire, à l’instar de Charlotte léguant ses toiles à un ami de confiance : « C’est toute ma vie. »

Alors lisez ce livre. Et vous verrez qu’il y a un « avant » et un « après » Charlotte.

Yves Quitté

« Charlotte », de David Foenkinos, illustré par les gouaches de Charlotte Salomon, aux éditions Gallimard, 29€.

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